Photo: Storyblocks

J’ai toujours envié le sun tan de mon frère Pierre. Probablement le plus Amérindien de la fratrie, j’ai le souvenir de lui, tel un acteur, allant faire son jogging sur la plage de Wildwood lors des vacances familiales, fin des années 70. Je n’avais pas encore 10 ans. Nous allions à la piscine de l’hôtel et je restais, immobile et tétanisé, sur le bord d’un plongeon qui devait avoir un mètre et demi de haut. J’étais incapable de me jeter à l’eau. Probablement que l’avoir fait, ma mère aurait violemment suivi, mon cordon ombilical n’étant toujours pas détaché d’elle.

J’étais le plus petit et j’observais les grands. Je me joignais à mon grand frère et à mon père l’érudit pour regarder Ronald Reagan devenir le prochain candidat républicain pendant que ma mère nous crémait avec du Noxema. À l’époque, on soignait les coups de soleil, on ne les prévenait pas.

Mes parents avaient un lit, mes deux frères dormaient dans l’autre et ma soeur avait un petit lit pliant. Moi? Je dormais dans une chaise longue que je troquais pour un tas de couvertes par terre… j’ai même déjà essayé le bain ou empilé des valise entre deux petits fauteuils que je mettais face-à-face. La nécessité est la mère de l’invention. J’ai été inventif très jeune.

Mais je m’en foutais. Les vacances d’été étaient la pause magique. Mon père devenait calme et rieur. Évidemment que les enfants se chamaillaient, en pleine exploration de ce qu’est le vivre ensemble.

À la plage, ma mère avait des casques de bain orange pour mon deuxième frère et moi, question de ne pas nous perdre de vue dans les vagues. J’étais tellement gêné mais avec le recul, de nous laisser aller dans celles-ci était une liberté que j’étais très hésitant à donner à mes propres enfants.

C’étaient aussi les restos où j’ai eu l’âge du menu pour enfants jusqu’à au moins 14 ans. Je ne trouvais pas mon père gratteux. J’avais juste honte de manger une assiette de bébé surtout si j’avais une petite anglaise de mon âge à la table d’à côté.

Après, c’était la razzia au magasin de jouets. Que de souvenirs, de routes interminables, de parents dévoués dans le trafic de New York avec une carte du CAA comme seul guide. Et soudainement, aux douanes, on avait tous plus de 18 ans, question de passer plus de Gin au Duty Free… si seulement la petite anglaise avait été dans l’auto d’à côté à ce moment-là…

Tous ces souvenirs refont surface dans la piscine de mon frère, il y a deux jours. Toujours aussi bronzé et malcommode, il nous rejoint, tout comme ma mère et ma tante. Tout le monde a changé mais pas vraiment. Les pentures grincent un peu mais la porte s’ouvre avec le même émerveillement. Je suis dans l’eau à côté de ma mère et c’est comme avant, malgré que c’est plus moi qui sera protecteur… et je le suis! Mon amoureuse me regarde, ne sachant pas qu’elle a sous les yeux une éternelle photo de famille qui a à peine jauni.

On soupe, on rit. On contemple notre vie imparfaite avec gratitude. Je me demande de quel intérêt aurait été la Vénus de Milo si elle avait eu des bras. Probablement moins que sans. Nos erreurs sont notre relief, notre caractère est le vent qui souffle sur celui-ci. Avec les années, les larmes on façonné quelques lacs et l’amour n’a eu de cesse d’ensoleiller cet écosystème.

Sur une route de terre battue, Pierre et moi philosophons. Le ciel est rosé par un soleil qui se rend lentement jusqu’à son lit. Je lui dit : Le seul problème avec mon âge c’est que j’ai n’ai pas vieilli dans ma tête. Je n’ai renoncé à presque rien. Ma sérénité n’est pas d’accepter mais de continuer à avancer, à tenter l’impossible, à constater que j’ai encore un tas de pages blanches que j’ai envie de remplir. Je n’ai pas envie de contempler mon rétroviseur avec satisfaction. Je n’ai d’admiration pour moi que dans l’action. Mon frère me regarde en souriant. Nous sommes faits du même bois. Probablement un cèdre qui craque un peu mais qui jamais ne pourrira.

J’espère que vous passez vous aussi un bel été !

Auteur