Pierre Fitzgibbon est parti. Je n’avais pas d’atomes crochus avec le type. Son côté bully et opaque ne me plaisait pas. Il avait cependant les qualités de ses défauts. Autopsie d’une classe politique condamnée à l’immobilisme.

J’ai 22 ans et je m’apprête à concevoir mon plus important contrat de graphisme. C’est un mandat tombé du ciel. Je vais réaliser la promo étudiante Desjardins. Posters, campagne panneaux d’autobus. Enfin, on va être sur la map, mes associés et moi. J’ai eu le contrat d’une amie d’un ami, alors stagiaire au siège social de Lévis. A-t-on repéré mon talent de créateur? Pas du tout. Le département de graphisme de Desjardins demande trois mois pour réaliser le mandat quand le projet doit sortir dans trois semaines. Autrement dit, on les sort de la marde. On est sur les chapeaux de roues mais la campagne est un succès. Personne n’est mort au boulot. On a été efficaces, point.

Pour moi, c’était normal de travailler rapidement. Ma définition du privé, c’était ça : opportunité, action. Je n’ai jamais vu ça autrement. Sinon, c’est souvent du niaisage.

Fitzgibbon est arrivé en politique avec bien des rêves. Indépendant de fortune, je ne crois pas qu’il cherchait à s’enrichir personnellement. Du copinage? Entretenir son réseau? Ceux qui y voient un problème grave ne tiennent pas compte des milliers d’emplois dans la fonction publique octroyés grâce à un chum ou à une connaissance. Du dilapidage de fonds publics de la part du ministre démissionnaire? Je ne compte plus les mandats qui m’ont été octroyés par des départements de communication gouvernementaux qui exigeaient que je charge la totale car leur année budgétaire tirait à sa fin et s’il restait un sou dans la caisse, ça leur serait soustrait l’année suivante.

L’appareil gouvernemental n’a absolument pas besoin des politiciens pour gaspiller notre argent.

Fitzgibbon voulait que ça avance. Il a frappé un mur appelé bureaucratie et que beaucoup confondent avec démocratie. J’ai travaillé brièvement en politique pendant la pandémie et mon irritant majeur était ce système mis au point par des paresseux apathiques. Impossible d’avoir une réponse ou une action concrète, même pour des dossiers d’une simplicité désarmante. La procédurite aiguë a eu raison de l’homme d’affaires que j’ai toujours été.

Fitzgibbon a été beaucoup plus patient que moi. Il a tenté de mettre un peu de Québec Inc. dans l’ADN d’un État aussi lourd que lent. Le super ministre tournait les coins ronds mais le sytème ne les tournait pas du tout. Qu’on pense à la peinture du pont de Québec, au TGV Québec-Windsor ou au règlement du dossier de la mobilité Lévis-Québec, dès que ça entre dans le système, c’est aspiré par un trou noir et rien ne se passe.

Si Tesla avait été une société d’État, leur première voiture électrique sortirait en 2050. Elle serait probablement parfaite et probablement parfaitement dépassée. Elle ne s’appellerait pas Tesla mais plutôt Tergiversa.

Fitzgibbon est un bulldozer qui a décidé d’aller défricher ailleurs, tanné d’être confiné à l’immobilisme et au niaisage bureaucratique. Fitzgibbon était l’autre extrême, ce qui n’est pas mieux. Les entrepreneurs prennent souvent des risques impulsifs qui coûtent cher. Imaginez si en plus, ce n’est pas leur argent. On peut perdre le contrôle facilement.

Mais un entre deux serait souhaitable, non ? Ah… vous me dites que vous allez penser à ça. Dans deux ans si ça va bien, parce que là, ça prend un processus et des consultations… OK, ouais…

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