Blogue initialement publié le 22 août 2020 sur les réseaux sociaux

Je me réveille tôt, à l’hôtel des Mouettes de Sept-Iles, encore subjugué par ma belle Natashquan et la route titanesque qu’est celle de la Côte-Nord. Comme à chacun de mes roadtrips, je n’ai aucune idée de ce que je ferai aujourd’hui. Comme je dis souvent, c’est devant rien qu’on est devant tout. Je pars vers l’Ouest et j’arrêterai quand j’en aurai assez.

La vue, maintenant côté conducteur, est aussi spectaculaire et surdimensionnée. À un moment, je confond même la ligne d’horizon, croyant que je regarde le ciel, tout en montant une côte. Je peux comprendre les pilotes de petits avions de perdre leurs repères.

Mon téléphone s’illumine. C’est mon ami Gérald Bacon de Pessamit à qui j’ai serré la pince à l’aller, 34 ans après notre graduation du secondaire. On s’est vus en vitesse dans un parking de station-service. Sachant, grâce à Facebook, que je suis sur le retour, il m’invite à dîner… dans le bois avec sa famille.

Wow!

J’ai peur de pas être là à temps mais Gérald est patient et je réussis à le retrouver, à cette même station-service à une heure acceptable. Je le suis sur la route et après un moment, on s’engouffre dans la forêt. On roule et on roule et on roule. Y’a plus de signal sur le téléphone. Nous voilà au milieu de nulle part… pour un blanc car un Amérindien n’est jamais nulle part dehors. C’est plutôt enfermés dans les institutions religieuses ou des maisons usinées, d’il y a une soixantaine d’années qu’ils se sentent perdus.

J’arrive dans une aire déboisée où le clan a décidé de s’établir. C’est un rituel d’aller se réunir dans un nouvel endroit, dans le bois, après la fête nationale Innu, le 15 août. On y dresse un campement, on y chasse ou on y pêche, on retourne à ses origines.

Je fais enfin connaissance avec Mélissa, la conjointe de Gérald. Sa mère de 73 ans est là, comme ses soeurs et même le beau-frère, entrain de déplumer une perdrix, fraîchement capturée. Il montre aux plus jeunes comment couper le cou de l’animal. Ce n’est pas du spectacle, c’est de la pédagogie.

Y’a pas de grands scientifiques ici. Pourtant, rien n’a de secrets pour eux. La nature obéit à des lois d’une logique implacable. Je regarde mon téléphone, orphelin de réseau et j’assiste avec émerveillement à quelque chose de plus en plus rare de nos jours: la réalité.

Je mange comme un roi, je me sens un des leurs. Les enfants s’amusent avec mon chien que tous ont surnommé Phillykess (petit Philly).

On parle des blessures de leur peuple, de cette société matriarcale où l’on me dit carrément et en riant : « c’est pas mal ça » quand je demande si les femmes Innus sont des germaines.

On parle de danse traditionnelle. On me montre des photos de pow-wow, où les gens sont dans leurs plus beaux atours. Quelqu’un qui porte du rouge a souffert d’une blessure d’abandon. Une femme qui porte dans son dos des cercles munis d’une tige de tissu, signifie le nombre d’enfants perdus avant la naissance.

Ils arborent leur fragilité, leurs blessures, leurs épreuves et leurs combats personnels à la vue de tous, quand en ville, les blancs diront du bout des lèvres et tout bas qu’ils voient un psy.

Les ados partent chasser la perdrix, je les suis. Et c’est la jeune fille qui dirige les opérations. On reviendra bredouille, malgré qu’on en a touché deux. Elles ont réussi à se sauver. Faut dire que l’instinct de survie, c’est fort ici.

On me raconte des histoires d’ours et de loups. Le beau-frère me regarde un sourire en coin, voir si je vais paniquer… mais c’est qu’elles sont vraies les histoires, en passant.

Gérald m’emmène à quelques centaines de pieds voir un lac. Je l’appelle le Lac Personne car il n’est pas dénaturé par 20 chalets. Tout est à tout le monde et rien n’est à personne. C’est la philosophie du nomade, qui vit au jour le jour, appréciant chaque instant.

En quelques heures, je me suis fait plus que des amis. J’ai une famille à Pessamit. Personne ne fait la leçon ou se croit meilleur. On fait juste partie d’un même spectacle qui s’appelle la vie.

Je termine mon repas et je dis à Mélissa : Sais-tu quand est-ce que c’est vraiment plaisant d’être un roi? C’est quand tout le monde est roi.

On sourit, on se comprend.

Je dois quitter et ça me dérange… de laisser la vraie vie qui m’a dit pendant trois heures « tu te rappelles de moi? »

On se prend une photo de famille et je vais revenir… « camper cette fois » me dit Gérald, me parlant d’un campement hivernal avec du sapinage. Je suis fasciné. Triste de quitter mais comblé par ma découverte, par mes nouveaux amis.

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